Lonesome Christmas Blues

Publié le par almost-friendless-too

La rue venteuse hurle à la face du monde sa sordide solitude. Le monde ne répond rien.

 

Les rideaux métalliques des grises boutiques grondent à loisir, heurtés parfois par le couvercle d’une poubelle renversée qui n’en finit pas d’arpenter le trottoir. De nombreux détritus roulent et enflent et volent au gré des froides rafales. Un enfant s’étant avancé prudemment sur sa trottinette grinçante s’arrête devant le spectacle ; l’œil inquiet, la chevelure en bataille trahissent l’amertume et la désillusion : C’est donc ça, Noël ?  Puis il disparaît en un couinement de roues. Il aurait pu tenir compagnie à la rue. Elle se désole, se retourne, rugit. Les rideaux de fer battent.

 

Mes enfants, je leur ai offert une boite douillette toute chaude. Une jolie boite aux angles doux et aux mesures confortables. Ils n’entendront pas les hurlements de la rue esseulée à travers les parois ; ils ne verront pas le théâtre stupide et confondant, lamentable et désespérant du désert urbain un lendemain de réveillon. Au chaud, protégés de tout. Pas comme ce pauvre enfant sur sa trottinette geignarde.

 

Je me souviens de ces matins aigrelets où, môme aux joues roses et grasses, je me promenais en vélo dans la ville abandonnée tandis que les adultes se remettaient laborieusement de leur cuite. Le ciel bas de cette terre acculturée chevauchait les montagnes fixes, pics de marbre accidentellement coiffés de coton effiloché, grisâtre. Tout était grisâtre comme maintenant. Le plan d’eau bétonné, que la municipalité vidait tous les hivers, offrait à ma bicyclette un terrain de jeu idéal, avec sa surface immensément lisse et ses courbes interminables : je tournais en rond des heures durant, jusqu’à éprouver un peu de vertige. Puis je rentrais, les oreilles rougies par le froid.

 

J’aurais pu la construire moi-même, cette boite, mais je n’avais pas le temps, ni les outils, ni le matériel. Et puis c’était Noël, c’était le moment. Plaisir d’offrir ? mais eux ne connaissent pas même la joie de recevoir ! Je ne leur ai pas appris cela ; parce que la joie est consubstantielle à son contraire, qu’elle en dépend entièrement et immanquablement.

 

Je les attrape, mes enfants, je les mets un par un dans la boite. Intégralement transparente, ce qui permet une observation optimale mais peut à l’usage s’avérer gênant – peut-être devrais-je passer un coup de peinture sur deux des quatre côtés. Cela atténuerait la lumière dedans. Offrir un semblant d’intimité. Quelques travaux d’aménagement se montreront probablement nécessaires, tels que trappes et cachettes, recoins mais pas trop. Le couvercle s’enlève et se remet très facilement à l’aide de deux encoches qui font clic, procédé très pratique les jours de ménage. Pour l’instant, les dimensions de cette boite sont parfaites, et quand elles ne seront plus suffisantes il suffira d’en changer ou d’agrandir, comme on fait tout le temps. Monde de poupées russes et de clapiers étouffants d’où il arrive que quelqu’un se défenestre.

 

J’espère qu’ils seront heureux dans leur boite, mes enfants. Peut-être plus que moi dans la mienne, laquelle n’offre aucune sorte de protection contre la rue hurlante. Pis : il y a de l’écho.

 

M. Furey, 25/12/12

 

 

 


 

Publié dans Un titre

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