Cérémonial

Publié le par almost-friendless-too

- Presse. Allonge la jambe. Accroche-toi aux branches. Avance. Gaffe aux lianes du passé, tu vas t’y empêtrer. Ces images-serpents qui te hantent. Les dinosaures ont coulé là, au fond de l’étang vaseux que tu contournes. Jaune, épais comme une soupe. Il y a des bulles qui crèvent la surface, ne regarde pas… Ne respire pas… Avance.

- Je vois…

- Du tout. Monte. Par là. Redescend. Dégringole. Cascade. À poil ! Ôte tout cela – les bagages, les vêtements, la peau, déroule les nerfs et rampe sur les os. Jadis tu marchais fusil dans les bras, langue de terre cuite, torse brûlé par le soleil toujours levant. Maintenant tu te couches. Glisse. Tombe. Voilà, les ombres, les ronces autour des marais. Bien fait. Avance et ne respire pas, je te dis. Fais pénitence.

- Je…

- Tais-toi et creuse ! Enfonce-toi. Interpénètre. Laboure la rocaille toute sèche, brise les ossements, soulève la poussière jusqu’au maudit ciel. Si tu trouves le Graal, surtout, n’y bois pas, hérétique ! – il ne contient que cette horrible soupe jaunâtre pleine de vase et de souvenirs stagnants. Pour toi, du moins. Le passé n’est pas la mémoire, les sens n’ont rien à voir avec la raison. Ne cherche pas de direction. Ton corps est calcaire, sable, sel, fumée amère. L’éternité, une sacrée suée. Monte, disperse. Elève-toi avec les feux follets. Robinson, en faisant l’amour à un arbre, fut mordu par une araignée.

- Ah…

- Ici, les épineux déchirent tes épaules. Très bien. Au tapis. Aiguilles. La sève ruisselle sur tes maigres jambes. Les genoux vont bientôt percer la chair… Là… Nymphe  cruelle, tordue sur tes hanches… Encore mieux. Hé, c’est que tu te débrouilles pas mal, mon Sisyphe hirsute, sur les cailloux tranchants ! Oui, je sais, les orteils nus en prennent un coup. Viens, vieux. Au fond du trou, à travers la cheminée des rochers, ce que tu fumes, ce que tu transpires, ce que tu pues !

- Désolé…

- Ne sois pas désolé. Repens-toi à perdre haleine. Oui, encore, oui encore ! Abandonne derrière toi le présent violé, le passé vaseux, la fange des sentiments surannés, pour ne plus être que l’intervalle, l’amorce du souffle, l’Infinitésimal, l’instantané. Tu te souviens de ton fusil ? il n’a jamais existé. Bannière brisée. Les dinosaures ? pareil. Ton corps ? sors de ta cage thoracique, enfin ! Coule, croule… Jaillis hors de toi, fuse sur la terre retournée !

- Aïe ! J’y suis ?

- Non.  Plus loin ! Tu ne le saurais pas. On n’est jamais prêt, on ne sait jamais quand, où on est arrivé…

- J’ai vu passer une fée, pourtant.

- Oh ! Il commence à pleuvoir. Quelques gouttes froides t’ont troué le front. Tu en as, de la chance ! Je baise, lèche tes plaies. T’ai-je jamais parlé du Christ, mon aimé ? Ce suaire dont tu te couvrais le ventre. L’empreinte sanglante de ses mains à quatre doigts – quatre doigts aux mains sanguinolentes ! Parce que, quand le clou transperce un certain nerf, le pouce rompt et se replie à l’intérieur de la paume. De la chance, oui… Nous allons faire pareil, monseigneur. Marche – sur les rotules ! Déshabille tes poings ! Tout doux. Roide. Les pins se mettent en quatre… L’averse… Elle t’empale. Fragmente. Morcelle…

- …

- Ne pense qu’à te diluer. Comme c’est joli, le sol aride grêlé, ces larmes azurées qui te flagellent !

 

 

Pays-de-Broceliande.JPG

 

Pays de Brocéliande, 14/07/11

 

M. Furey


Publié dans L'humeur aqueuse

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