I just want to make love to you (Junior Wells - Southside Blues Jam)

Publié le par almost-friendless-too

I just want to make love to you, composée en 1954 par Willie Dixon pour Muddy Waters, est un de ces standards du blues que tous les grands reprendront plus ou moins heureusement à leur sauce, jusqu’à Bob Dylan sur Together through life en 2009 (My wife’s hometown). J’ai d’abord connu, à douze ou treize ans, la version signée Etta James (1961), sorte de rouleau compresseur féminin aguicheur en diable ; ce fut ensuite l’interprétation de Muddy Waters (enfin retrouvée sur vinyle l’an dernier), nettement plus sobre techniquement mais pas moins suave de par son harmonica outrageusement chuintant (ça sent la sueur, crûment éclairée, qui perle et arpente des hanches lascives…). Etc. En bref, I just want to make love to you a été l’une de mes portes d’entrée sur le blues et la « virilité » (blues et libido font bon ménage, on le sait), souvent copiée (je soupçonne, un peu confusément, Joe Cocker de s’en être inspiré pour son You can leave your hat on  kitsh et pompier), rarement égalée… La version de Junior Wells sur le LP Southside Blues Jam, un tantinet décalée, haletante et gluante (elle traîne, s’avachit, bave sur de la lingerie fantasmée sans jamais décrocher le gros lot ni, toutefois, s’essouffler), me hantant depuis l’autre nuit (dangereusement saturée de vapeurs anisées) m’enjoint à traiter de cet album sous-estimé ici.

 

Muddy Waters

 

 

 

(« Coucher, c’est bien mais faire l’amour, c’est mieux ». Certes, selon l’ambiance, la densité de l’air et le taux d’alcoolémie, on dira à raison l’inverse, mais dans l’absolu… enfin là n’est pas la question. Dans tous les cas, le sexe relève de l’art avec toutes les dimensions charnelles, cérébrales et spirituelles qu’il implique et cela, les bluesmen l’ont bien compris, leur musique préfigurant, à mon sens, l’union sacro-sainte quoique périlleuse (le sacré, forcément, ne va pas sans douleurs) de ces trois langoureux domaines.)

Southside Blues Jam, donc. On connaît surtout Junior Wells pour son Hoodoo Man Blues (1965), qui compte, paraît-il, parmi les dix meilleurs albums de blues de tous les temps (position que j’approuve, quoique je préfère ne pas considérer le classement de trop près…) Quelques anthologies (à la Calling all blues par exemple) retracent assez agréablement son parcours. Et puis, on l'aperçoit chez les Blues brothers je crois (le très espouvantable navet version 2000, non ?)... Ahem.

Ce que l'on sait moins, c'est qu'il y a des disques de Junior qui vous sautent à la gorge quand vous avez le dos tourné (anatomiquement parlant, c'est assez traître) et vous laissent pour mort sur le plancher au pied de votre platine... Southside Blues Jam est de ceux-là. Le principe ? Vous voici plongés en pleine jam session au fond d'un club enfumé de Chicago, entre un verre de Jack sans glace et un clope trop conique pour être honnête, en somme tout le toutim folklorique mais si véritablement vrai. 69, année érotique s'il en est... À la différence du Hoodoo Man Blues si connu et encensé, fougueux quoique carré, Southside Blues Jam déborde en abordant un aspect plus sinistre et bourbonné du blues, qui fleure bon la cendre et la maturité ; il ne s'agit pas ici d'allonger quelque lycéenne innocente (Good morning little schoolgirl ) à l'arrière d'une voiture (activité au demeurant fort plaisante) mais de s'en prendre aux femmes mûres, celles qui ont de la bouteille si je puis dire (à ce titre, l’ami Junior semble vocalement lorgner du côté de Janis Joplin) tout en buvant et transpirant plus que de raison. Les années 50 sont bel et bien mortes et le blues, un temps assagi (cuivré, lissé, gélifié), s'enfonce allégrement dans les orgies frelatées et les rades les plus glauques, entraînant l’auditeur fiévreux à sa suite…


Le tempo est lent (ce qui ne veut pas dire mou, au contraire) ; la voix, traînante, pousse son rocher de Sisyphe à l'aveugle et éructe, et brame, et meugle avant de fondre en larmes (rugissements, onomatopées, sanglots) tandis que la guitare minimaliste quoique scintillante de Buddy Guy tricote un arrière-plan fantasmagorique fichtrement saisissant. Le piano (Otis Spann) n'est pas en reste avec des accents jazzy hypnotiques qui tiraillent sensuellement le coeur (et le bas-ventre). Un peu rock, un peu funky, beaucoup musique du diable, ce blues humide ne laissera pas les conduits (auditifs) de madame – ni le foie de monsieur – indifférents.
Sur
Blues for Mayor Daley, Junior Wells se réfère ouvertement à Muddy, à Tampa Red, à Big Maceo et consorts : incontestablement un homme de goût. Sur le dernier titre, Trouble don’t last always, Buddy Guy, brumeux, velouté, prend la parole et nous guide dans l’intimité des blueseux, qui ont la conversation rigolote. Quarante moites minutes – huit titres d'autant plus suaves qu'ils tapent dans la longueur/langueur – se succèdent ainsi voluptueusement, au milieu desquelles surnage, nous y voici, un I just want to make love to you chaud et collant, véritable incitation à la débauche dans un coin sombre mais avec classe, s’il vous plaît. La tension, comme dans l’ensemble du disque dont ce titre constitue un bouillant condensé, ne se relâche jamais. Il faut craquer, mais pas encore : une affaire de préliminaires en quelque sorte…

Ceux qui n'apprécient pas le genre passeront sans remords à côté, mais les autres, désireux de savoir ce que le mot "sexy", si galvaudé aujourd’hui, veut dire, seront bien avisés de se frotter à ce style de "petite mort" ma foi fort jouissif.

 

À posséder.

 

Junior-Wells---Southside-Blues-Jam---LP.JPG

Oyster


Publié dans Eaux boueuses

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S
<br /> J’ai reçu l’album ce jour. Excellent disque ! Même plus ;)<br /> <br /> <br />
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O
<br /> Hoodoo Man Blues, excellent choix évidemment. Perso, j'en possède l'édition de 2004.<br /> <br /> <br />
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S
<br /> Bel article, qui donne envie de plonger dans le vice du blues… J’ai plongé depuis quelques temps d’ailleurs ! J’ai déniché ce week-end, sur Priceminister, une réédition vinyle (1998 je crois) du<br /> Hoodoo Man Blues de Junior Wells ! J’ai hâte de la recevoir.<br /> <br /> <br />
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