Fantôme - (Jandek)

Publié le par almost-friendless-too

Il s'agite encore dans la nuit moite, repousse le noeud enroulé autour de sa maigre gorge qui ne saurait l'étrangler.
Non le fantôme n'est pas ce que vous croyez - le fantôme obstinément se définit par ce qu'il n'est pas.
Le fantôme rumine, se lasse, s'enrhume, se fâche - le fantôme s'efforce comme tout le monde d'être quelqu'un.
Le fantôme n'a pas simplement peur, il est terrorisé. Il se relève le matin pour enfiler sa tenue de fantôme et il s'y prend les pieds. Il tombe. Le fantôme aussi, quoi que vous pensiez, sait se faire mal.
Il a besoin d'air pour respirer mais il n'aime pas l'eau parce qu'il n'arrive pas, bon sang, à s'y noyer.
Non le fantôme n'est pas soluble dans sa solitude.
Le fantôme ne communique pas : il communie ou il se tait.
À y regarder de près, le cadavre du fantôme bouge encore ; quand il tâte son visage à l'aveugle dans la salle de bain, il s'offense de la grimace de son crâne et du sourire qu'il ne peut y trouver.
Le fantôme n'est pas désincarné, bien au contraire : il a un éperon de chair à la place du coeur. Le fantôme ne supporte pas ce bout de viande qui gigote en lui et fend l'air, cet élan vital l'a depuis longtemps écoeuré. Le fantôme est par nature bredouille. C'est là, plus que sa destinée, sa pitoyable essence. Sa rengaine première.
C'est dommage. Le fantôme mérite une volée de bois vert, une bonne correction que nul n'est en mesure de lui administrer.
Tous les jours, le fantôme balance Nietzche et Bergson par la fenêtre parce qu'il ne parvient plus à les lire. Et tous les jours, les revoilà posés en évidence bras croisés sur le canapé. Le fantôme va-t-il finir par cadenasser les volets ?
Le fantôme aimerait davantage de liberté. Il en a assez, de s'en remettre seulement au hasard.
La tragédie du fantôme se résume donc au noir canon de la vie braqué sur sa tempe battante. Le fantôme vit. Il vit tellement que quand il finit par s'endormir le soir, ses effusions de joie le réveillent deux heures plus tard.
Le fantôme s'envoie des lettres à lui-même pour le plaisir de recevoir du courrier.
Non, quand elles arrivent le lendemain, il ne les ouvre pas. Le fantôme les empile dans l'entrée près de cette maudite porte qu'il voudrait verrouiller à jamais.

 

Jandek - A letter.

Blindboy

Publié dans Eaux boueuses

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